INTERVIEW « EN DOUBLE-CORDE »

Réalisée par Jean-Luc Bouveret pour l’AmiRéSol

Nous sommes toujours heureux de pouvoir faire témoigner dans nos pages des professeurs dont la carrière a été longue.
C'est au tour de Josette DURIVAUX-LEYRIS, Grand Prix Marguerite LONG-Jacques THIBAUD, Professeur honoraire au CNR de Nancy, de nous confier quelques souvenirs et réflexions.
Pourriez-vous nous retracer brièvement votre parcours ?
Oui, bien sûr, avec joie !
J'ai commencé le violon à l’âge de quatre ans avec mes parents : j'ai progressé très vite, j'aimais ça et j'étais curieuse. Au bout de six mois, en intermède d’une audition de piano je jouais en public une Tyrolienne, comme en fait foi un article de presse d’Avril 1932.


Pourriez-vous ajouter quelques commentaires ou anecdotes relatifs à la manière dont vous avez appris le violon dans les premières années ?
A partir de là, j'ai continué à me produire régulièrement, mais sans l’aide de mon press-book, j’aurais des difficultés à me souvenir qu’à l’âge de sept ans je jouais le 5ème concerto de MOZART, des œuvres de WIENIAWSKY, et que le tout était diffusé sur Radio Strasbourg.
Puis la guerre est arrivée, mes parents ont du quitté Nancy et nous nous sommes retrouvés à Bordeaux. Là, j'ai rencontré un remarquable violoniste et professeur : Charles ARTHUR. Je suis donc entrée au conservatoire de cette ville, et à onze ans j'obtenais mon 1er Prix.
Ensuite je suis entrée au Conservatoire de Paris d'où je suis sortie avec un 1er Prix de violon en 1942, ainsi qu'un 1er Prix de musique de chambre dans la classe de Joseph CALVET.


Pourriez-vous nous raconter plus en détail cette période : vous étiez à Bordeaux et puis vous voilà à Paris pendant la guerre, adolescente, ce n'est pas banal, les jeunes générations n'imaginent pas ce que cela pouvait être ...?
Non, ce n’était pas banal, il y aurait beaucoup de choses à dire… et il m’arrivait d’avoir faim et froid !
En 1943 je me suis présentée au Concours Marguerite LONG-Jacques THIBAUD où j'ai remporté le 2ème Grand Prix, à la suite de quoi j'ai signé un contrat avec le bureau de concerts de Paris (Gabriel DUSSURGET). Ce fut alors un joli début de carrière puisque j’ai joué en soliste avec la société des concerts –aujourd’hui Orchestre de Paris- sous la direction de Charles MUNCH et avec les orchestres symphoniques des grandes villes françaises. Ce n'est que bien plus tard que je me suis retrouvée dans ma ville natale. Entre temps on m'avait proposé de faire une tournée aux Etats-Unis, et comme j'étais très jeune, mes parents s'y sont opposés... c'était une autre époque !
Par la suite une place de professeur s'est présentée à moi au conservatoire de Nancy. Mon père, professeur de hautbois dans cet établissement, était ravi que sa fille entre dans cette maison en tant qu'enseignante et en tant que soliste à l'orchestre de la ville puisque cela allait de pair
C'est au conservatoire que j'ai rencontré mon mari, René LEYRIS, professeur de basson et de musique de chambre. Pour des raisons sentimentales je me suis fixée à Nancy, très heureuse de mon sort. Le directeur de l'époque, Marcel DAUTREMER, avait d'ailleurs composé pour mon mari et moi un Duo Concertino (éditions DURAND) que nous avons beaucoup joué dans de nombreuses villes d'Europe.

Comment le violon est-il entré dans votre vie ?
Ma mère était professeur de violon et chef d'attaque des seconds violons à l'orchestre de Nancy. Elle donnait des leçons de violon à la maison, et depuis toute petite, dès l'âge de six mois, j'entendais de la musique. J'assistais aux leçons de violon et j'étais une petite fille très sage : je m'asseyais sur une minuscule chaise que je possède toujours, l’on me donnait des livres d'images, je tournais les pages et j'écoutais ! Un jour j'ai dit à ma mère qui enseignait aussi le solfège avec des exercices d’intonation : "maman, joue moi des notes sur le piano !". Elle joua quelques notes sur le piano, je ne me suis pas trompée et j'ai trouvé toutes les notes !
Quand les élèves travaillaient le solfège avec ma mère, il m’arrivait de leur "chiper" leur violon. Je partais furtivement dans une autre pièce, je mettais la tête du violon sur une chaise et là, je "raclais" quelque peu et zézayait ensuite : " ze veux zouer du violon, ze veux zouer du violon !" J'avais du caractère et devant mon entêtement, mes parents, qui auraient préféré le piano ou le violoncelle, ont cédé. C'est ainsi que j'ai commencé, comme je vous le disais tout l'heure, à l’âge de quatre ans.

Quels sont les temps forts qui ont marqué l'enseignement que vous avez reçu ?
Ce sont mes rencontres avec mes professeurs Charles ARTHUR et Joseph CALVET, deux grands maîtres qui m’ont tellement appris !
Joseph CALVET était un professeur extraordinaire. Quand j'allais travailler chez lui, il me gardait trois heures ! Lorsque je jouais un trait difficile, il avait cette phrase merveilleuse : "maintenant tu recommences mais avec le sourire !" Et là tout passait, l'aspect besogneux du travail disparaissait, je jouais comme une soliste. Je lui dois beaucoup. Mon Prix LONG-THIBAUD : c’est lui

Enseigner à votre tour, cela allait-il de soi ?
Certainement, car j'ai toujours aimé l'enseignement. Je pense que si je n'avais pas joué du violon, j'aurais été professeur d'histoire. J'étais douée pour tout ce qui était littérature. J'aurais aussi aimé être journaliste, faire des reportages.

Le contexte musical et éducatif a considérablement changé au cours des dernières années. Comment l'avez-vous personnellement ressenti et vécu ?
Le problème de l'enseignement quand on est dans un conservatoire, c'est que l'on subit certaines structures, certaines directives, et ça ne va pas toujours dans le sens que l'on voudrait.
Je relisais votre interview de Roland DAUGAREIL qui disait lui-même « mettre les pieds dans le plat » en dénonçant le côté pernicieux des classes d’orchestre pour les jeunes. Je m’engouffre dans la porte qu’il a entr’ouverte , car s’il existe quelques conservatoires bien dirigés qui ont su mettre en place des structures solides de préparation au travail d’orchestre avec l’aide de leurs professeurs spécialisés, nombre d’autres, par démagogie, incompétence ou intérêts personnels, usent et abusent des sessions d’orchestre, sans discernement et avec des programmes inadaptés. Certains élèves s’en retrouvent épuisés et démolis, les professeurs sont alors contraints de les ménager et de les récupérer en les « nettoyant » des mauvaises habitudes prises à l’orchestre (tenue, justesse etc..). Il est vrai qu’un orchestre qui se produit sans cesse à droite et à gauche fait parler de lui via les médias ; cela plaît à certains qui ne se rendent pas compte que les élèves sont ainsi exploités dans un but qui, de toute évidence, n’est guère pédagogique.
Quant au recrutement des élèves, il serait indispensable de faire des tests d'écoute, de chant et de souplesse. Il faut bien reconnaître que l'on a maintenant trop souvent des élèves guère motivés que l'on doit faire travailler au détriment d'autres qui ont de réelles capacités pour le violon. Pour ceux là il y a bien les horaires aménagés ; une idée sensationnelle au départ, mais Marcel LANDOWSKY l'a dit lui-même au bout de quelques années, ce n'est pas vraiment ce qu'il aurait voulu. A Nancy certains parents inscrivaient leurs enfants en horaires aménagés simplement pour qu'ils soient dans la meilleure école de la ville, c'est tout. Le violon ou un autre instrument, un quart d'heure par jour c'était suffisant pour eux, alors on subissait.
C'était à tel point qu'à un moment je me suis dit que ça ne pouvait pas durer et j'ai eu envie de créer ma propre école de violon en m'entourant de gens extrêmement qualifiés, car on a beaucoup de bons violonistes en France, souvent inconnus et qui ne sont pas appréciés à leur juste valeur. J'étais allée assez loin puisque j'avais le sponsor, mais devant l'ampleur de la tâche (les locaux, les tâches administratives etc..) j'ai renoncé à ce projet.
Malheureusement le contexte continue à se dégrader. En voulant mettre la musique à la portée de tous, ce qui est très louable, l’on a peut-être amené du monde dans les salles de concerts, bravo ! Mais les critères d’écoute se dévalorisent, et le public peine à discerner ce qui est valable et ce qui l’est moins. D’autre part, le nivellement se fait souvent par le bas. Quelques conservatoires, pas tous bien sûr, deviennent des sortes de MJC... c'est dommage.
Savez-vous ce que disent nos confrères européens ? La musique : en Italie on la chante, en Espagne on la danse, en Allemagne on la joue, en France on en parle !

Des satisfactions, des regrets ?
Le regret de n’avoir pu réaliser toutes mes aspirations. Le temps s’écoule trop vite et l’on rencontre trop d’obstacles. Dans un domaine utopique, j'aurais souhaité, comme beaucoup avoir plusieurs vies parallèles. Il y a tellement de richesses au monde que ce serait passionnant de pouvoir partir dans plusieurs directions. Il est parfois difficile de faire des choix.
Des satisfactions ! Oui. Je pense à tous les élèves avec lesquels j’ai gardé des contacts privilégiés. Beaucoup d'entre eux enseignent ou jouent dans des orchestres et sont très heureux. Il y en avait aussi qui était doués pour les études et je les poussais dans cette voie, je pense notamment à un élève polytechnicien, excellent violoniste, et qui fait partie de l’orchestre d'amateurs « Note et bien » en tant que violon solo. J'estime que cette situation est bien plus intéressante pour lui que s'il était devenu professionnel.. Certains de mes élèves ne passent pas deux mois sans me téléphoner pour prendre de mes nouvelles, ou ils m’envoient des e-mails et viennent me jouer un programme.
D'autres expériences enrichissantes et satisfaisantes : j'ai fait partie de nombreux jurys de CA. On apprend beaucoup au contact des autres membres du jury, et aussi au contact des candidats.
Une chose est sûre et essentielle : on apprend toute sa vie. Assister à des cours, des Master-Class, des concours et écouter… écouter ! C’est formidable.
Pour conclure je resterai toujours formelle sur un point :
Le violon ne s’écrit pas, il se joue !

Avec l'aimable autorisation de l'association
« L'AmiRéSoL » : 27, rue Berthe Molly 68000 Colmar

http://lamiresol.free.fr/spip/index.php


P.S. Autour de mon interview, mes amours: compositeurs, violonistes et surtout la merveilleuse Ginette Neveu.

Ginette Neveu / Tzigane de M. Ravel (1935)

Ginette Neveu / Poème de Chausson (1946)